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Le Divan Fumoir Bohémien
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24 février 2012

Condottiere

 

 

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 Les éditions du Seuil viennent de publier une oeuvre de jeunesse de Perec, intitulée Le Condottiere, dont le personnage central est un faussaire qui tente de créer un nouveau tableau à partir du portrait du Condottiere d'Antonello de Messine et divers détails empruntés à d'autres portraits de la Renaissance. Voici un extrait donné par le Monde des livres :

"Je regardais le Condottière. Je me disais : voilà, telle contraction des muscles, c'est telle ombre accentuée de telle ou telle manière, un dégradé sur la joue, en arc de cercle, et telle ombre, c'est toute une expression du visage, son émergence, ce qui fait que ceci reste invisible et que cela éclate. Et de cet ensemble d'ombres et de lumières, jaillit toute une musculature, toute une force, dans le visage, une volonté des muscles. C'était cela qu'il fallait que je retrouve sans le copier. C'était cela qui me frappait le plus. Par exemple, je comparais le Condottière au Portrait d'homme qui se trouve à Vienne. C'était exactement le contraire. Le Condottière est un homme d'âge moyen, plutôt jeune - il a entre trente et trente-cinq ans, l'Homme de Vienne n'a certainement pas vingt ans. L'un est décidé, l'autre est veule, le visage mou, les traits affaissés, menton fuyant, des petits yeux, une joue immense et nue, sans muscles, sans vigueur. Par contre la tunique est plus claire, plus nette que le visage, les plis sont visibles, et la broche. Je pouvais me tromper dans cette comparaison, mais c'est ce qui me paraissait le plus évident, ce déplacement des signes. L'Homme de Vienne n'était pas difficile à faire ; ç'aurait pu être n'importe qui. Mais le Condottière, puisque j'avais choisi de le peindre, ce ne pouvait être qu'un visage. Je tournais autour de cette constatation, je ne parvenais pas à en sortir. Au début, l'idée d' affubler mon Condottière d'une cuirasse m'a semblé très alléchante. Ça simplifiait beaucoup de choses ; ça permettait de jouer sur les lumières, le gris de la cuirasse, le gris des yeux, comme chez l'autre, tout le tableau tourne autour du brun : la toque et la tunique, les yeux, les cheveux, le brun-vert du fond, l'ocre clair de la peau. J'aurais eu un Condottière en gris : casque et cuirasse, les yeux, les cheveux assez clairs, la peau très mate, légèrement grise comme celle du jeune homme de Botticelli au Louvre. Seulement, ça n'avait aucun sens. Qu'est-ce qu'un Condottière avait à faire d'une cuirasse, puisqu'il était bien entendu qu'il était à lui seul la force ? Une cuirasse, c'était un signe, trop facile, comme il eût été trop facile de le peindre selon l'idée que les romantiques nous ont donnée d'un Condottière : débraillé et aviné, genre Capitaine Fracasse ou Côme de Médicis. J'ai abandonné ma cuirasse. Je l'ai serré dans une tunique vaguement rouge ; mais elle ressemblait trop à la vraie... J'ai cherché encore... Pendant six mois, chaque jour, dix heures par jour. Puis j'ai cru que j'y étais arrivé. Mon Condottière serait de trois quarts, comme le vrai, comme l'Homme de Vienne, comme l'humaniste de Florence, tête nue, le sol serait légèrement plus apparent, la tunique serait lacée, le lacet ne se détachant pas, et comporterait quelques plis légèrement apparents à la hauteur de l'épaule. Ce costume, décidé après bien des tâtonnements, ne fut accepté qu'après que j'ai été vérifié à la Nationale s'il était possible. Ça pouvait marcher à peu près ; je pouvais prendre tous les détails dans différentes oeuvres ; le col chez l'Homme de Vienne, le laçage de la tunique dans un portrait d'Holbein, la configuration générale de la tête dans un portrait de Memling. Le teint du Condottière me fit perdre à lui seul une quinzaine de jours ; je n'arrivais pas à le cerner ; il fallait qu'il corresponde à la couleur de la tunique, il devait déterminer toutes les autres couleurs ; j'ai fini par choisir un ocre assez terne, une peau très mate, des cheveux noirs, des yeux bruns très sombres, des lèvres épaisses à peine plus sombres, une tunique lie-de-vin, un fond rouge sombre, légèrement plus clair sur la droite. "


Georges Perec. Le Condottiere. Le Seuil. 2012. pp. 149-154

 

 

 

 

 

 

 

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Autre heureuse surprise du Monde des livres daté de ce vendredi 24 février, une critique du remarquable Livre des enfants d'AS. Byatt, enfin traduit en français.  


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Renaissance Portraits, from  Donatello to Bellini,  au Metropolitan Museum. Voir l'album Italian Renaissance Portraits,  très complet et documenté de Hans Ollermann sur flickr.

 

Antonello de Messine, Le condottiere, musée du Louvre ; Lorenzo Lotto, Jeune homme à la lampe, Kunsthistorisches Museum, Vienne ; Hans Memling, Tomaso di Folco Portinari, Metropolitan Museum

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Commentaires
C
Des peintres que j'aime et je lirais ce livre. Merci. Bisous et bon dimanche
E
Comme Valery j'ai noté la référence, je cours l'acheter. Merci Florizel.
V
Merci beaucoup ! Il me le faux, ça ne fait pas un pli !
I
Vos pages sont des pièges à esprits curieux. Des labyrinthes où l'on se plaît à se perdre. On y entre par une image, le Condottiere. Puis on fouille, on soulève, on se retrouve en Bourgogne dans un château d'exil, puis dans un conte de Grimm, dans une maison de fée, on aimerait poursuivre, et l'on se rend compte que cela fait une heure que l'on s'est oublié sur ce divin divan. Merci pour l'oubli...
J
Oh la jolie nouvelle. Perec refait surface.. je cours l'acheter. Blle journée Florizelle.
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