Parmi les "Early American Portraits" de l'American Folk Art Museum de New York, deux tableaux saisissants : les membres de la famille Crane par Sheldon Peck. Habitué à des portraits représentant des personnages de trois quarts en buste, le peintre change radicalement sa manière au contact des nouvelles scénographies qu'impose la photographie aux alentours des années 1840 et adopte des plans plus larges où les personnages sont saisis en entier, entourés de quelques meubles et objets familiers. Et là, la maladresse, qui pouvait apparaître initialement comme une limite de son savoir-faire d'artiste autodidacte, devient un style. Là, les regards intenses et les visages inquiets acquièrent une autre dimension, proche de l'épouvante.
Sheldon Peck, portraits de David et Catherine Stolp Crane, et d'Anna Gould Crane et sa petite-fille Janette, vers 1845. American Folk Art Museum, New York
[Mes recherches de photos des années 1840 ont fait naître cette question : à partir de quand les personnes photographiées ont-elles été obligées de sourire ? Sur les daguerréotypes, l'impassabilité domine. Est-elle simplement corrélée aux contraintes techniques d'un long temps de pose ou repose-t-elle également sur certaines conventions culturelles ? Le sourire est, semble-t-il, un phénomène peu répandu jusqu'au début du XXe siècle, assez du moins pour qu'on prête aux photographies de personnes souriantes le statut de raretés comme en témoigne cette galerie flickr intitulée "The Smiling Victorians" laquelle modifie considérablement, il faut bien le dire, notre perception de ces humains du passé]