Le schall à la fenêtre
A la Maison de Balzac, la charmante exposition Elle coud, elle court, la grisette, met en mouvement la figure protéiforme de la grisette à travers gravures, vêtements, accessoires, albums d'échantillons, chansons et textes littéraires. Modistes, lingères, mercières, doreuses, brodeuses, bordeuses de souliers, fleuristes, culottières, les grisettes tirent leur nom de l'étoffe grise dont elle faisaient leurs vêtements mais la littérature, la presse, les gravures qui peu à peu en façonnent le stéréotype les représenteront toujours pimpantes, gaies et fraîches, modestes et vives, coquettes, prêtes à se réjouir d'un rien.
Parmi leurs emblèmes, les souliers fins, le petit bonnet, la robe d'indienne et le châle. Dans sa mansarde, dans sa chambrette, dans son grenier pauvrement meublé, où fleurissent à la fenêtre capucines et giroflées, la grisette se plaît à déployer son châle en guise de rideau tout en rêvant à d'autres vies.
" C’était une grisette de Paris, mais la grisette dans toute sa splendeur ; la grisette en fiacre, heureuse, jeune, belle, fraîche, mais grisette, et grisette à griffes, à ciseaux, hardie comme une Espagnole, hargneuse comme une prude anglaise réclamant ses droits conjugaux, coquette comme une grande dame, plus franche et prête à tout ; une véritable lionne sortie du petit appartement dont elle avait tant de fois rêvé les rideaux de calicot rouge, le meuble en velours d’Utrecht, la table à thé, le cabaret de porcelaines à sujets peints, la causeuse, le petit tapis de moquette, la pendule d’albâtre et les flambeaux sous verre, la chambre jaune, le mol édredon ; bref, toutes les joies de la vie des grisettes : la femme de ménage, ancienne grisette elle-même, mais grisette à moustaches et à chevrons, les parties de spectacle, les marrons à discrétion, les robes de soie et les chapeaux à gâcher : enfin toutes les félicités calculées au comptoir des modistes, moins l’équipage, qui n’apparaît dans les imaginations du comptoir que comme un bâton de maréchal dans les songes du soldat. Oui, cette grisette avait tout cela pour une affection vraie ou malgré l’affection vraie, comme quelques autres l’obtiennent souvent pour une heure par jour, espèce d’impôt insouciamment acquitté sous les griffes d’un vieillard."Balzac. Histoire des Treize. Ferragus, ch.III
Parfois, elle aura poussé la coquetterie jusqu'à tout mettre dans ses tenues, transformant ses cartons à chapeau en table de nuit.
« Couchée sur un lit de sangle, la tête sur un oreiller garni, cette jeune personne a pour coiffure une cornette dont la valeur surpasse celle d’un bonnet paré. Deux cartons à chapeaux l’un sur l’autre tienne lieu de somno ou table de nuit, et, en place de chandelier, c’est un vase de porcelaine ébréché. On aperçoit sous le lit des souliers, couleur de rose, en pantoufles. Le dossier d’une des chaises est à demi brisé ; c’est là qu’est accroché le chapeau à fleurs. L’autre chaise renversée sert de support à la robe garnie de bouillons ; et le schall [sic] à palmes empêche le vent de pénétrer par le bas de la croisée. Une grande capitale peut seule offrir de ces contrastes. ». Observations sur les modes et les usages de Paris
Et toujours son schall à la fenêtre.
Elle coud, elle court, la grisette,
jusqu'au 5 janvier 2012 à la Maison de Balzac, rue Raynouard à Paris (passage par la rue Berton fortement conseillé)
Gavarni, La Grisette, gravure sur bois colorée, 1840 / Maison de Balzac ; Eugène Morisseau, La grisette, 1832/ musée Carnavalet ; Planche 104 de la série Le Bon Genre, Pierre de la Mesangère ed. , 1827/BHVP.