Au Foundling Hospital de Londres, va s'ouvrir l'exposition Threads of Feelings consacrée aux pages des registres d'admission de cette institution pour enfants abandonnés conservées par les London Metropolitan Archives. De 1741, année de sa création, à 1760, le personnel a pris un soin extrême à recueillir, pour l'épingler à la page nominative, un morceau de tissu prélevé sur le vêtement de la mère ou de l'enfant à des fins de future identification, en l'absence ou en complément de signes de reconnaissance (tokens) laissés par les parents.
Comme les habits des enfants étaient taillés soit dans le même tissu que les robes de leur mère, soit directement dans des vêtements d'adulte, ces milliers d'échantillons, d'une fraîcheur intacte, représentent une source inestimable pour l'histoire sociale du XVIIIe : les vêtements étaient le plus souvent le seul et unique bien des plus pauvres à cette période. Les habitudes vestimentaires du peuple sont autrement très mal documentées contrairement à celles des élites dont bon nombre de vêtements luxueux ont été conservés et pour lesquels de multiples sources primaires existent.
Si des sources écrites comme les minutes judiciaires relatives aux vols de vêtements ou les inventaires après incendie permettent d'approcher les habitudes de consommation des moins bien lotis, ces morceaux de tissu constituent une archive matérielle irremplaçable, la principale en Angleterre, si ce n'est au monde, pour connaître la mode du peuple au siècle des Lumières. Les vêtements des plus pauvres étaient portés, reportés, transformés, jusqu'à ne former que des chiffons, bons à être assemblés en dessus-de-lit ou à faire des langes. Et si, par la suite, certaines pièces d'habillement ont survécu, aucun musée ne s'y est intéressé car seuls les habits des élites, à la pointe de la mode, ou les costumes folkloriques régionaux retenaient jusqu'à il y a peu l'intérêt des conservateurs.
Fondant ses recherches sur ce corpus, John Styles a pu montrer dans The Dress of the People, comment la révolution industrielle au XVIIIe siècle a puissamment diffusé les tissus en coton dans les classes populaires, supplantant les étoffes de laine et les tissus mixtes, de couleurs sombres et denses, qui avaient prédominé jusqu'au XVIIe siècle. Ils ont soutenu une démocratisation de la mode en donnant accès aux femmes du peuple à des motifs colorés - moins cependant que les plus aisées - sur des fonds clairs reproduisant les dernières modes des tissus de soie des élites. Loin de se contenter du nécessaire et d'être des victimes passives des transformations économiques, elles pouvaient cultiver leur apparence avec de jolies choses.
Si ces mères appauvries ont pu chercher à être à la mode, elles n'ont pu s'offrir le luxe suprême d'élever leur enfant comme elles le voulaient. Et l'on peut imaginer leur douleur quand, rentrées chez elles après avoir confié leur enfant, elles ôtaient leur robe amputée de ce petit morceau de tissu, perte irrémédiable d'une part d'elle-même.
Bouquet de quatre rubans étroits, jaune, bleu, vert et rose.
Rubans de soie assemblés et noués.
Enfant n° 170.
Petite fille admise le 9 décembre 1743. Nom donné : Pamela Townley.
Morte le 1er septembre 1746.
Threads of Feelings. Foundling Hospital. 14 octobre 2010-6 mars 2011