Chemin faisant
Des cailloux, de la ficelle armée : le "résumé d'une promenade" sur l'île de Sifnos. La sculptrice Catherine Willis accomplit son œuvre chemin faisant, nourrie de cueillettes, de récoltes, de cette passion attentive aux moindres offrandes de la nature, à sa beauté savante, à ses pouvoirs colorés et à ses manifestations invisibles : parfums bruissants et mouvants, odeurs traquées et piégées par qui sait reconnaître parmi les milliers de brins de blé fauchés l'effluve de coumarine d'une petite graminée et flairer à des centaines de mètres de distance un vieil arbre venu d'Inde.
Ses sculptures sonores et parfumées célèbrent les sensations ténues du promeneur. L"épure alliée à un luxe de détails en amplifie l'acuité. Ce sont des bâtons de parole, des arcs à parfums : des branches de coudrier courbées, des bâtons de cèdre du Liban entourés de bandes de soie plissée teintées de trois jaunes différents (celui de la Reine-des-Près, celui de l'écorce de grenade, celui de la racine de berbéris), qui cachent une cavité où se logent des fragments odorants que feront vibrer les clochettes de danseuses de kathal accrochées à une fibre de carbone serpentine. Ce sont des écorces de pamplemousse déployées comme les ailes d'un aigle à l'intérieur d'un orbe étoilé de fèves tonka. A leur contact, on ressent un apaisement immédiat. Emettrices ou captrices, leur circularité nous détache du passé et du futur pour mieux nous ancrer dans le moment présent, l'étonnement du vivant et la joie d'être au monde.
Pour finir, citons Charles-Albert Cingria, l'un des auteurs dont Catherine Willis cultive la compagnie, aux côtés d'Italo Calvino, Vladimir Nabokov et Nicolas Bouvier.
"Vous cheminez depuis longtemps dans ces grasses terres argileuses craquelées - le poudreux velours d'infimes papillons imite cette teinte - et vous vous étonnez de ne pas découvrir la Loire. Elle est pourtant tout près, mais le chemin et tout ce pays est en contre-bas, et ce n'est que quand le chemin tourne, monte, et c'est brusquement - le chemin alors devient chaussée - que le frais d'une prodigieuse eau fauve vous arrive au visage, et il parle, et c'est ravissant. Donc comprenez qu'ici le visuel est secondaire. C'est moins un spectacle qu'une audition , et des plus raffinées qui puissent exister dans l'accès non prévu de sensations pareilles. C'est comme un roucoulement infinitésimal énorme que feraient cent milliards de colibris exténués à rendre l'âme. Et vous êtes là, je ne dirai pas étonné, mais intimidé par excès de ravissement ; comme si, à vrai dire, la marque de quelque vigilance ouvertement compatissante vous eût comblé au-delà de ce dont vous vous fussiez cru digne : comme si vos pas, d'eux-mêmes situés sur l'ample déroulement d'un ténébreux tapis, vous eussent porté vers quelque mosquée ornée de tufs, de glaces ou quelque frais pavillon de l'Esprit".
"Vair et foudres" dans Bois sec, bois vert de Charles-Albert Cingria, coll. L'imaginaire, Gallimard.
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Catherine Willis expose en ce moment dans le cadre de l'exposition collective Natura femina,
à la galerie Joseph, 7 rue Froissart, 75003 Paris,
jusqu'au 28 mars.