Eloge de l'ombre
Pour la nuit blanche, début octobre à Paris, le Musée d'art et d'histoire du judaïsme a présenté dans la cour de l'hôtel de Saint-Aignan une installation de l'architecte Antoine Grumbach
consacrée au thème de la cabane de Soukkot. L'oeuvre en elle-même
n'était pas remarquable mais le texte qui l'accompagnait vaut d'être
cité :
"La cabane que l'on réalise à l'occasion de la fête de
Soukkot, en souvenir de la traversée du désert, est aussi une
invitation à réfléchir sur l'origine de l'architecture. Les ouvrages
anciens de théorie architecturale s'ouvrent tous, en effet, sur la
description d'Adam au Paradis. Grotte, tente, structure en bois
recouverte de feuillages, construction en pierre appareillée ou non,
toutes lse formes d'abris apparaissent ainsi au fil de leurs pages.
L'architecte Ledoux au XVIIIe siècle, dans l'un des derniers grands
ouvrages théoriques, conçoit la maison primitive comme un arbre et son
ombre. L'étude du traité du Talmud consacré à la fête de Soukkot fait
découvrir un véritable livre d'architecture : ce texte écrit il y a
plus de mille cinq cents ans aborde toutes les questions théoriques de
l'architecture : réflexion sur la séparation de la structure et des
parois, définition d'un espace, parois virtuelles, ouvertures en
longeur, système de proportion et question de l'échelle. Tous ces
points y sont abondamment discutés et l'éventualité de leur
détournement y est toujours envisagée.
"La soukkah est une
construction éphémère et démontable. Son toit de branchages abrite du
soleil, mais doit permettre de voir les étoiles de la nuit. Le souvenir
de l 'ombre de la nuée qui protégea les Hébreux dans leur errance est
essentiel dans la célébration d ela fête. La qualité de l'ombre fait
l'objet de beaucoup d'attention. L'ombre doit toujours être plus
importante que la lumière. Au-delà du souvenir de la traversée du
désert, la cabane de Soukkot est un piège de lumière où l'éloge de
l'ombre manifeste une présence.
"En réalisant cette
construction de façon archaïque, avec sa structure en troncs dégrossis,
assemblés à mi-bois et liés par des cordes, sa couverture tressée de
saule, d'osier, de châtaignier et de palmes, ses parois constitués d'un
tissu de lin blanc, comme un châle de prière, le tout édifié sur un
tapis de sable, j'ai le sentiment d'avoir pu formuler ma version de
la maison d'Adam au paradis, tout en comprenant, grâce au Talmud, que
bâtir, c'est avant tout faire de l'ombre. "
Cabane pour la fête de Soukkot, Autriche, fin XIXe siècle
Musée d'art et d'histoire du judaïsme
Son décor est traditionnel en même temps qu'il dénote d'une parfaite assimilation de l'artisanat local. Peindre les parois intérieures des cabanes est davantage le fait des régions ashkenazes que sefarades. Les faces de la soukkah sont respectivement ornées d'une vue pittoresque d'un village autrichien, d'un écu où sont inscrits les premiers mots du décalogue et d'un décor floral rappelant la signification agricole de la fête. Le panneau majeur porte une représentation de Jérusalem, d'un genre courant à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, évoquant ses murailles, ses collines, le Dôme du Rocher, la mosquée d'El Aqsa et, au centre, le mur des Lamentations.