"Le matin, on lui demanda comment elle avait dormi.
- Oh ,
terriblement mal, dit la princesse. Je n'ai presque pas fermé
l'oeil de toute la nuit ! Dieu sait ce qu'il y avait dans ce lit
? J'ai couché sur quelque chose de dur, et j'en ai le corps tout
brun et bleu. C'est terrible !
Alors on put voir que c'était une
vraie princesse puisqu'elle avait senti le petit pois à travers les
vingt matelas et les vingt couettes de plumes. Seule une vraie
princesse pouvait avoir la peau si délicate.
Le prince la prit
donc pour femme car il savait maintenant qu'il avait une vraie
princesse et le pois fut placé dans le cabinet des objets d'art, où il
est encore, si personne ne l'a pris. "
(Traduction PG. La Chesnais, Gallimard )
Aujourd'hui, tout le monde sait que Frédéric Clément l'a dérobé pour le placer dans son Magasin Zinzin entre le poudrier de Blanche-Neige et une écharde de bois de quenouille. La brièveté du conte a aussi conduit à bien des variantes, notamment Anne Herbauts avec sa Princesse au petit poids et Lauren Child, qui, dans une ambiance de maison de poupées hollandaise, demande malicieusement si une vraie princesse aurait eu l'impolitesse de dire à ses hôtes qu'elle avait mal dormi.
Reste la force graphique de l'amoncellement des lignes horizontales à laquelle peu d'illustrateurs ont resisté ( parmi les rebelles, Lisbeth Zwerger a préféré à l'image canonique le portrait de la princesse à la porte du palais). Voici, par ordre d'apparition, une image anonyme du Magasin pittoresque, l'illustration d'Arthur Rackham pour une édition des contes datant de 1932, une autre d'Honor C. Appleton (Londres, 1922) puis de Heath Robinson (Londres, 1913)
Avec l'usage de la couleur, les jeux sur les motifs s'intensifient. En témoignent la superbe illustration d'Edmund Dulac (Londres, 1991) et les géométries de Margaret Tarrant (Londres, 1915).
Le lit devient même collage abstrait ("Are you a real princess" par Michelle Ward, 2005).
Collage est d'ailleurs peut-être le maître-mot de l'oeuvre d'Andersen. Dans une lettre à Mimi Holstein, datant de 1874 (près de trente ans après la publication de La Princesse au petit pois), il décrit son travail comme semblable à un tableau fait de collages, où il inclurait des idées poétiques et des représentations historiques, même si pour écrire ses contes il a utilisé papier et encre plutôt que de découper des images et les juxtaposer afin de suivre son train de pensées. Lui-même pratiquait cet art du collage, notamment dans de magnifiques albums (billedbog) qu'il offrait en cadeau. "Voyez, c'est là une vraie histoire".