Caftans et talismans
Dans sa Nouvelle relation de l'intérieur du Sérail du Grand seigneur, publiée en 1675, Jean-Baptiste Tavernier nous fait pénétrer dans l'une des salles les plus secrètes du palais de Topkapi : ,
"La seconde salle du trésor est un grand dôme qui contient six coffres de douze pieds de longueur sur six de largeur et de hauteur. Ces coffres, appelés ambar, sont pleins de toutes sortes d'habits qui servent au Grand Seigneur, de vestes, de riches fourrures, de turbans magnifiques et de coussins en broderie de perles. Outre ces six coffres, il s'en voit huit autres longs de huit pieds et larges de quatre, où l'on tient les pièces d'écarlate, les fins draps de Hollande et d'Angleterre, les pièces de velours, les brocarts d'or et d'argent, les couvertures de lit en broderie et autres richesses de cette nature. "
La tradition à la cour ottomane voulait qu'à la mort ou du vivant du sultan, des princes et des princesses, leurs vêtements fussent emballés dans des housses richement brodées, dûment étiquetées à leur nom et déposées ensuite au Trésor, à titre de souvenir.
C'est ainsi que l'on peut aujourd'hui admirer dans l'éclat de leur premier jour caftans, pelisses et turbans du XVe siècle.
Mais plus encore que la variété des motifs - nuages chinois, artichauts, grenades, tulipes, œillets, rosettes à huit pétales, palmettes, cercles, croissants de lune -, la richesse des étoffes - velours italiens, soies de Bursa, lampas, seraser aux fils d'or ou d'argent, brocarts - , ou le raffinement des associations chromatiques, ce qui étonne ce sont ces chemises blanches couvertes d'enluminures et de calligraphies.
Tuniques talismaniques aux effets protecteurs - envoûtements, maladies ou blessures - ou bénéfiques - faveurs amoureuses, puissance sexuelle-, dont la confection obéissait à des règles très contraignantes.
Il faut s'imaginer les astrologues du palais, réunis en hâte sur ordre du médecin chef, occupés à scruter les étoiles pour déterminer l'heure favorable ; calligraphes et maîtres doreurs, réveillés en pleine nuit pour se mettre à l'œuvre devant des pièces de coton spécialement traité afin d'avoir la finesse et la régularité du papier ; les mêmes , exténués, penchés depuis des heures sur leur ouvrage pour tracer versets du Coran, formules religieuses et carrés magiques, selon des agencements savants dictés par la numérologie ; et plus tard, des doigts experts assemblant les différentes parties du vêtement afin d'assurer, au plus intime des épaisseurs de vêtements, toute l'efficacité du talisman.
Mais qu'ont-ils donc fait pour que dans l'un des coffres repose un caftan taché de sang ?
A la cour du Grand Turc, caftans du palais de Topkapi,
jusqu'au 18 janvier 2010 au Louvre
Caftan du milieu XVIe siècle, carmin foncé à motif de grenades spécialement élaboré par les tisserands italiens pour le marché ottoman ; chemise talismanique du XVIIe siècle portant la prière suivante : "Sultan Murad Han, fils de sultan, qui combat les pêcheurs et les révoltés, que Dieu lui accorde longue vie ! Qu'il fasse durer son bonheur, son autorité et son sultanat ! Amen !".