Ne joue pas avec les allumettes !
Pierre l'ébouriffé (Struwwelpeter), un des plus grands classiques de la littérature enfantine allemande, a traumatisé des générations de petits germanophones avec ses histoires d'enfants désobéissants promis à d'abominables châtiments, voire à la mort. Le docteur Heinrich Hoffmann, qui l'avait initialement écrit et dessiné pour son petit garçon de trois ans en guise de cadeau de Noël, le publia en 1845 grâce à un ami éditeur et l'ouvrage connut bientôt un succès immense. Les spécialistes ne sont pas tout à fait d'accord sur le degré de sérieux avec lequel l'auteur prenait ses histoires : pure manifestation de l'éducation à la prussienne ou jeu absurde avec les normes.
Toujours est-il qu'enfant - était-ce la traduction de Cavanna ? - , je me délectais de son humour noir, avec juste ce qu'il fallait de circonspection. Il faut dire que ses vignettes sont de véritables chefs d'œuvre, alliées à un texte d'une grande efficacité. Figurez-vous les recommandations quotidiennes faites aux enfants poussées à leur extrême.
Première vignette : "Gaspard, mange ta soupe", le replet petit garçon refuse jusqu'à devenir maigre comme un clou.
Dernière vignette : tombe de Gaspard.
Mais la palme revient à l'histoire de la petite fille qui joue avec les allumettes (les garçons préféreront peut-être le tailleur coupeur de pouce sucé). L'image des petits chats pleurant sur le tas de cendres fumant est restée à jamais imprimée dans mes rétines. Je vous laisse juger.
Notre grand-mère nous offrit un Anti-Struwwelpeter, d'inspiration libertaire (ce qui ne lui correspondait pas vraiment), pour conjurer ses propres peurs d'enfance . Je n'en ai pas grand souvenir à part une image d'enfants nus dansant autour d'un policier, l'original étant bien plus réjouissant que la parodie.
La plus belle prolongation qu'il m'ait été donné de voir est le junk opera Shockheadedpeter, écrit par les Tiger Lillies et scénographié par Improbable, duo magique de metteurs en scène anglais. Sur un théâtre de carton géant, les comédiens s'emparaient à corps perdu des historiettes, dans la grande tradition de la pantomime anglaise, au son d'une musique grinçante à souhait. Extraordinaire : comme si le papier devenait vivant. Admirez plutôt la petite Pauline en train de s'enflammer.
"Et bientôt son corps tout entier
Est brûlé comme du papier.
Et de Pauline, ô sort funeste !
Deux souliers, voilà ce qui reste.
Et près des cendres de l' enfant
Les chats s' asseyent en pleurant,
Avec un crêpe par derrière !
Miau ! les pauvres père et mère !
Et des ruisseaux de pleurs coulaient
De leurs gros yeux qu'ils essuyaient. "
Pour M.