Chaos aromatique
L'odeur du maquis est sans doute l'une des plus belles qui soient et j'espère vivre assez longtemps pour connaître un jour l'appareil qui permettra de capturer les parfums de la nature dans toute la profondeur de leur relief ( ils s'appelleront peut-être des "osmographes" et l'on prendra des "osmos" comme des photos, ou une combinaison des deux). La bougie "Maquis" que Diptyque vient de créer, séduisante au premier abord avec sa dominante de ciste, s'avère décevante. Il lui manque un élément essentiel, le vent, qui fait changer en quelques secondes les notes principales qui parviennent au nez du promeneur. Cette fabuleuse expérience olfactive, on la retrouve, nain juché sur l'épaule d'un géant, dans ce passage du Guépard, auquel succèdent deux pages vertigineuses que je lis et relis au fil des ans.
"Le maquis suspendu aux pentes des collines demeurait dans le même état de chaos aromatique où l'avaient trouvé les Phéniciens, les Doriens, les Ioniens, quand ils débarquèrent en Sicile, cette Amérique de l'Antiquité. Don Fabrice et Tumeo montaient, descendaient, glissaient, se déchiraient aux ronces comme un Archedamus ou un Philostrate, vingt-cinq siècles plus tôt. Ils voyaient les mêmes objets, une sueur tout aussi visqueuse mouillait leurs vêtements ; le même vent marin, indifférent, infatigable, agitait les myrtes et les genêts, répandait l'odeur du thym. Les arrêts imprévus, méditatifs des chiens, leur pathétique tension dans l'attente de la proie, renouvelaient les chasses où l'on invoquait Artémis. Réduite à ses éléments essentiels, le visage lavé de ses fards et de ses soucis, la vie retrouvait un aspect supportable. "
Chapitre trois du Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa.
tr. Fanette Pézard. Le Seuil, 1959.