Thé, cigarettes, vin, bonbons
C'est en accompagnant son ami le grand peintre Liu Xiaodong pour filmer le documentaire Dong, que Jia Zhang-Ke a découvert le site des Trois gorges où est édifié le plus grand barrage du monde, sur le Yangtze. De là est née l'idée de Still Life, le long métrage qui lui a valu de remporter le Lion d'Or à Venise en 2006.
Avec pour ambition de "perpétuer une tradition chinoise qui donne une juste image de la réalité", il filme les quêtes parallèles d'un homme - un mineur - et d'une femme - une infirmière-, tout deux partis de la province du Shanxi pour rechercher leurs conjoints perdus de vue depuis des années. Un bateau remonte le fleuve : on est "en pleine peinture ou poésie traditionnelle chinoise, dans un tranquillité et un calme absolus", puis arrivé à Fengjie, "tous les éléments sensoriels de la modernité" assaillent l'étranger. Il s'égare dans la ville promise à l'engloutissement total : des ouvriers écrasés par le soleil risquent leur vie à tout instant en la démolissant méthodiquement à coups de marteau. Des murs entiers s'effondrent, le paysage de ruines se modifie continuellement ( si rapidement que l'équipe a dû tourner très vite pour ne pas perdre le cadre de son décor d'une scène à l'autre). Des corps en mouvement et des panoramas urbains, la caméra glisse en plans figés sur les objets de la vie quotidienne - tables, intérieurs de placard, murs. "Cigarettes", "thé", "vin", "bonbons" : quatre idéogrammes rouges scandent le film, quatre denrées hautement symboliques de l'échange et du partage entre "bonnes âmes" [en chinois, le film s'intitule Les bonnes âmes des Trois-gorges], au plus près des gestes et des pensées de ces humbles gens, de leurs rires et de leurs pleurs, de leurs conversations ( le portable a une grande importance) et de leurs silences, de leurs espoirs et de leurs nostalgies. Les deux personnages ne se croiseront jamais, mais leur lente recherche se poursuivra dans un entremêlement de destinées croisées, en perpétuel mouvement. En repartant dans sa province, le héros jettera un dernier coup d'œil à cette ville qu'il ne reverra sans doute jamais : entre deux immeubles en cours de démolition, un homme marche en équilibre sur un fil. Métaphore de la vie dans un pays occupé à détruire les traces de son passé.
Un des panneaux de Hot Bed 1, où Liu Xiaodong a mis en scène des ouvriers
se reposant sur le toit d'un immeuble de Fengjie,
autour d'un matelas les rassemblant comme sur une arche de Noë.
C'est le pendant de Hotbed 2,
où il a peint , dans le même éclat des chairs, un groupe d'hôtesses de bar thaïlandaises autour d'un matelas rouge à motifs.
Tang Contemporary Art-Bangkok.