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Le Divan Fumoir Bohémien
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Le Divan Fumoir Bohémien
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8 juin 2007

Voir d'en haut

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"Etre élevé au sommet du World Trade Center, c'est être enlevé à l'emprise de la ville. Le corps n'est plus enlacé par les rues qui le tournent et le retournent selon une loi anonyme ; ni possédé, joueur ou joué, par la rumeur de tant de différences et par la nervosité du trafic new-yorkais. Celui qui monte là-haut sort de la masse qui emporte et brasse en elle-même toute identité d'auteurs ou de spectateurs. Icare au-dessus de ces eaux, il peut ignorer les ruses de Dédale en des labyrinthes mobiles et sans fin. Son élévation le transfigure en voyeur. Elle le met à distance. Elle mue en un texte qu'on a devant soi, sous les yeux, le monde qui ensorcelait et dont on était "possédé". Elle permet de le lire, d'être un Oeil solaire, un regard de dieu. Exaltation d'une pulsion scopique et gnostique. N'être que ce point voyant, c'est la fiction du savoir.

Faudra-t-il ensuite retomber dans le sombre espace où circulent des foules qui, visibles d'en-haut, en bas ne voient pas ? Chute d'Icare. Au 110e étage, une affiche, tel un sphinx, propose une énigme au piéton un instant changé en visionnaire : It's hard to be down where you're up.

La volonté de voir la ville a précédé les moyens de la satisfaire. Les peintures médiévales ou renaissantes figuraient la cité vue en perspective par un œil qui pourtant n'avait encore jamais existé. Elles inventaient  à la fois le survol de la ville et le panorama qui la rendait possible. Cette fiction muait le spectateur en œil céleste. Elle faisait des dieux. L'œil totalisant imaginé par les peintres d'antan survit dans nos réalisations."

Michel de Certeau. L'invention du quotidien, Arts de faire. Union Générale d'éditions, 1980.


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