Photo trouvée
Michel Frizot et Cédric de Veigy,
historiens de la photographie, ont glané au fil des années une masse de
photos d'amateurs trouvées dans les déballages des marchés aux puces.
Ils nous donnent à voir deux cent quatre-vingt cinq d'entre elles dans
un beau livre paru en septembre dernier chez Phaidon, intitulé Photo trouvée. Je vous livre leur texte d'introduction :
"Il
se prend plus d'un milliard de nouvelles photos chaque semaine. Et
depuis plus d'un siècle, les clichés d'amateurs s'entassent dans des
tiroirs, échouent dans des poubelles ou s'accumulent dans les cartons
des marchés aux puces. En mettant les mains dans ces cartons, nous
avons recueilli ce trop-plein d'images que l'humanité déverse avec
indifférence. Et ce trop-plein est devenu pour nous, semaine après
semaine, une source d'étonnements. Notre regard se surprenait d'y
trouver des évocations intimes et familières rarement perçues
jusqu'alors en images. : des réminiscences de postures, de
vacillements, de rêveries, d'élans, d'indécisions.
Que peut-il
y avoir dans ces photographies anodines, prises par des inconnus qui se
goûte ainsi comme une saveur et persiste comme un énigme ? Peut-être
reconnaissons-nous nos propres sensations dans les gestes des autres,
nos troubles dans leurs émois, nos menus plaisirs dans leurs moments à
eux. En triant et en assemblant ces images, année après année, il nous
a semblé qu'elles témoignent d'un '"propre" de l'homme qui aurait
échappé à la peinture, au cinéma, à la photographie d'auteur.
Quelque
chose d'humble et de précieux, de fragile et de primordial semble se
glisser dans ces images. Entre nos mains de photographes du dimanche,
l'appareil photo est imprévisible, saisissant ce que nous souhaitons
retenir, mais sous des dehors inattendus. Ces images permettent de voir
à la fois les intentions de celui ou celle qui prend la photo et ce
qui, par maladresse ou laisser-aller, s'y dérobe. Or si les intentions,
les corps, les moments sont propres à chacun, ce qui les dépasse nous
est commun.
C'est alors ceci que la photo transmet le mieux : la rencontre de nos intentions avec tout ce qui les déborde.
Et
c'est peut-être se reconnaître humain que de percevoir cette rencontre
sans cesse rejouée d'un corps à l'autre. Ces images débordantes, nous
les proposons à vos regards pour en prolonger l'étonnement, en différer
l'effacement , en renouveler le partage. Pour le plaisir et la
méditation. Nous souhaitons les restituer à tous ceux qui ont déjà fait
une photo et veulent bien prendre le temps de la regarder encore. Que
ces soient les leurs ou non, ils s'y retrouveront quelque peu."
Reste
à s'interroger sur ce que notre époque laissera comme traces
photographiques alors que la plupart des clichés numériques restent
enfermés dans les ordinateurs. N'y aura-t-il donc plus rien à
jeter ?