Tables princières
Au château de Chantilly se tient jusqu'au 8 janvier une exposition consacrée aux tables princières. Dans la galerie de Psyché, sont évoqués, à travers diverses tables dressées, les arts de la table depuis le XVIIe siècle – avec l’épisode demeuré fameux du suicide de Vatel, intendant du prince de Condé, qui se poignarda plutôt que de souffrir l'affront d'une marée trop peu abondante pour le souper du roi –, le service à la française, la naissance de la gastronomie française, l’apparition du champagne et les réceptions d’hôtes célèbres au XVIIIe siècle.
On peut y voir, après restauration, le Déjeuner d'huîtres de Jean-François de Troy, commandé en 1735 par Louis XV pour la salle à manger de ses petits appartements à Versailles, pièce relativement nouvelle après des siècles où les tables n'étaient que des plateaux posés sur des tréteaux amovibles. Un œil attentif y discernera un bouchon de champagne en train de sauter sous l'oeil étonné des convives masculins dans cette mise en scène où l'on sent que la pesanteur de l'étiquette de cour a laissé place à la légèreté, en ce siècle travaillé par les tensions de l'intimité.
Louis XV acquit Choisy en 1739 et chargea Gabriel de construire vers 1756 le Petit-Château, un pavillon à l'écart du bâtiment principal, pour y retrouver Mme de Pompadour. Il commanda à l'ingénieur Guérin une table volante de forme ronde, à plateau amovible, prévue pour douze convives. Par un ingénieux système de poulies et de ressorts, entre chaque service, elle s'enfonçait dans le sol. Dans la pièce en dessous, les domestiques s'empressaient d'en faire disparaître les reliefs, changeaient les bougies, tandis que les queux déposaient les plats et assiettes du service suivant. "Par ce moyen, les convives sont débarrassés de la présence de la foule des domestiques qui n'apportent que la gêne et la contrainte". Dans un cadre plus intime encore, les libertins s'entouraient pour leurs soupers fins de '"serviteurs muets" et de "tables servantes" qui renfermaient quelques couverts, serviettes ou assiettes supplémentaires, aux côtés de rafraîchissoirs où étaient placés boissons et verres.
La domesticité est éloignée, chacun se place autour de la table selon ses affinités, le festin peut commencer, agrémenté ou non de mouches cantharides.
Menu du souper de Louis XV, le 17 août 1757 au château de Choisy
PREMIER SERVICE 2 Oilles : une au coulis de lentilles, une à la paysanne. 2 potages : un aux laitues, une chiffonnade 8 Hors d'oeuvre : Une galantine d'oseille, d'haricots à la bretonne, d'harengs servis à la moutarde, de maquereaux à la maître d'hôtel, une omelette aux croûtons, de morue à la crème, d'harengs frais à la moutarde, de petits pâtés. |
DEUXIEME SERVICE 4 Grandes entrées : un brochet à la polonaise, une hure de saumon au four, une carpe au court bouillon, une truite à la Chambord 4 Moyennes : de soles aux fines herbes, de truites grillées sauce hachée, de perche à la hollandaise, de perches au blanc, de lotte à l'allemande, de raie au beurre noir, de saumon grillé, |
TROISIEME SERVICE 8 plats de Rost : de soles, de filets de brochets frits, de limandes frites, de lottes frites, de truites, de carrelets au blanc, une queue de saumon, de soles. 4 salades |
QUATRIEME SERVICE : 8 entremets chauds : de choux fleurs au parmesan, de pain aux champignons, de rotties aux anchois, un ragoût mêlé, d'artichauts frits, d'haricots verts, de choux- raves, d'épinards. 4 froids : un buisson d'écrevisses, un gâteau à la Bavière, un poupelin, une brioche |
Le Souper Fin, gravure, 1781
Jean-Michel Moreau le Jeune,
The Metropolitan Museum of Art, New York