Mort à la bibliothèque
Au Nord de Londres, se trouve une bibliothèque d'un genre particulier, la magnifique Wildgoose Memorial Library, qui n'est autre que l'appartement de l'artiste Jane Wildgoose, transformé en lieu de méditation sur la mort. Tirant son inspiration des vanités, de l'histoire des collections et des théâtres de mémoire, elle a voulu en faire à la fois un cabinet de curiosité et un reliquaire. Placés sous les auspices de Cerés, Perséphone et Orphée, ouvrages, objets et œuvres d'art sont répartis en dix sections :
1) Vitalité de la mort, ou l'histoire des monuments et rites funéraires,
2) Le corps de l'artiste, ou l'histoire de l'illustration anatomique et des descriptions de dissections,
3) Opus sacrum, ou les artefacts religieux,
4) L'art du costume, ou une petite histoire du costume,
5) Peintures de fleurs, natures mortes et origines des musées,
6) la nature animée, ou l'histoire naturelle,
7) Objets du désir, ou histoire de la décoration intérieure,
8) Monuments clef de l'histoire de l'art,
9) Archives de Miss Havisham, ou les représentations symboliques de la femme.
10 ) Où est-elle, un projet de collages narratifs en cinq scènes.
C'est l'occasion de découvrir l'oeuvre
fascinante de cette artiste inclassable, historienne du textile de
formation, diplômée de la Winchester School of Art.
Miss
Havisham, le personnage des Grandes espérances de
Dickens, est un motif central de son travail.
" A pareil jour, bien
longtemps avant ta naissance, ce monceau de ruines, qui était alors un gâteau,
dit-elle en montrant du bout de sa canne, mais sans y toucher, l’amas de toiles
d’araignées qui était sur la table, fut apporté ici. Lui et moi, nous nous
sommes usés ensemble ; les souris l’ont rongé, et moi-même j’ai été rongée
par des dents plus aiguës que celles des souris.
Elle porta la tête de sa
canne à son cœur, en s’arrêtant pour regarder la table, et contempla ses habits
autrefois blancs, aujourd’hui flétris et jaunis comme elle, la nappe autrefois
blanche et aujourd’hui jaunie et flétrie comme elle, et tous les objets qui
l’entouraient et qui semblaient devoir tomber en poussière au moindre contact.
Quand la ruine sera
complète, dit-elle, avec un regard de spectre, et lorsqu’on me déposera morte
dans ma parure nuptiale, sur cette table de repas de noces, tout sera fini… et
la malédiction tombera sur lui… et le plus tôt sera le mieux : pourquoi
n’est-ce pas aujourd’hui ! »
Pendant sa résidence au Bexhill Museum of Costume and Social History, elle s'est consacrée au thème des décorations florales dans la mode et aux relations établies entre fleurs et femmes, spécifiquement dans la litterature. Suivant la piste de Miss Havisham et des décombres de ses noces, elle s'est intéressée à l'utilisation des motifs floraux dans les robes et les accessoires de mariées et leurs résonances symboliques : chasteté, fertilité, amour charnel et spirituel. Elle a été frappée par l'abondance des roses dans les collections du musée : brodées, piquées dans les perles, cachées dans les dentelles, entrelacées parmi les fleurs artificielles des bouquets et des couronnes, de cire et de soie. Tout cela a été pour elle comme un regard jeté sur les couleurs, les textures, et le curieux mélange de fragilité et de permanence du dressing room de Miss Havisham, dont elle a mis en scène le coffre à trousseau, mangé par les mites.
"C’est alors que je commençai
à comprendre que tout, dans cette chambre, s’était arrêté depuis longtemps,
comme la montre et la pendule. Je remarquai que miss Havisham remit le bijou
exactement à la place où elle l’avait pris. Pendant qu’Estelle battait les
cartes, je regardai de nouveau sur la table de toilette et vis que le soulier,
autrefois blanc, aujourd’hui jauni, n’avait jamais été porté. Je baissai les
yeux sur le pied non chaussé, et je vis que le bas de soie, autrefois blanc et
jaune à présent, était complètement usé. Sans cet arrêt dans toutes choses,
sans la durée de tous ces pâles objets à moitié détruits, cette toilette
nuptiale sur ce corps affaissé m’eût semblé un vêtement de mort, et ce long
voile un suaire.
Miss Havisham se tenait
immobile comme un cadavre pendant que nous jouions aux cartes ; et les
garnitures et les dentelles de ses habits de fiancée semblaient pétrifiées. Je
n’avais encore jamais entendu parler des découvertes qu’on fait de temps à
autre de corps enterrés dans l’antiquité, et qui tombent en poussière dès qu’on
y touche, mais j’ai souvent pensé depuis que la lumière du soleil l’eût réduite
en poudre."