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Le Divan Fumoir Bohémien
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21 mars 2009

Le corail de Darwin




tree1837




Dans un carnet, désormais appelé le Notebook B, Darwin a dessiné un beau jour de 1837 à la plume une forme ramifiée, connue  pour être le troisième diagramme de l'évolution. Au-dessus, on peut lire les mots :  "I think"," je pense".

Ce pourrait être le parfait résumé du livre d'Horst Bredekamp, Les coraux de Darwin. L'auteur, historien de l'art et philosophe, adepte d'une approche multidisciplinaire, marquée  par l'histoire de la culture visuelle,  s'est intéressé comme un limier à une part négligée de l'œuvre du grand savant : ses dessins et esquisses dans les moindres recoins des manuscrits, même en pointillés ou sous forme du plus évanescent des traits de crayon,  parfois même à la loupe. A priori, cette quête obsessionnelle pourrait paraître rebutante mais il n'en est rien car elle est supportée par une idée forte :  l'image n'est pas illustration de la pensée scientifique, mais support du processus intellectuel, accélératrice d'idées.  Autrement dit, suivre le tracé des dessins de la main de  Darwin permettrait de saisir le mouvement de sa pensée et d'entrer dans le laboratoire de ses idées. C'est dans l'"alternance tâtonnante" des notes et des esquisses que réside l'origine de ses audaces.


sis

Illustration de Peter Sis pour  The Tree of Life.


Je ne m'emploierai pas ici à retracer le cheminement subtil et sinueux du raisonnement de l'auteur (dont bien des pages m'ont échappé). Mais son attachement à discerner la puissance créatrice des images et les contradictions internes dont elles sont la source m'a paru passionnant.

Le darwinisme est largement associé à l'image de l'arbre, dont les ramifications représenteraient l'évolution des espèces. Or ce modèle était au départ absent des recherches de Darwin. A  l'arbre de vie, marqué par l'ancienne tradition de la représentation des lignages et enfermé dans une dynamique temporelle orientée vers une fin, il préféra lors de ses premiers travaux le modèle du corail. Bredekamp fait remonter sa fascination à un échantillon de petite algue coralliforme, l'Amphiroa Orbignyana,  rapportée de son voyage sur le Beagle. Très tôt, ses esquisses montrent une prédilection pour cette forme  circulaire, anarchique et irrégulière. Le corail avait cette vertu de permettre de visualiser l'action du temps en rendant visible d'un seul coup d''œil la séparation entre les espèces vivantes et les espèces mortes, représentées par les branches pétrifiées. Il fournissait un modèle spatial des processus temporels particulièrement adéquat à sa pensée de l'évolution des espèces. 

Or, en 1858, Darwin met fin de manière brutale à ses tentatives. Et pour une raison simple, nous explique Bredekamp : dans un contexte de lutte scientifique intense, il redoutait de perdre la paternité de ses recherches et devant les avancées menaçantes de Wallace, grand utilisateur de la métaphore de l'arbre, il se hâta de publier ses résultats. Toutefois si l'Origine des espèces fait clairement de l'arbre de vie un modèle de l'évolution reste sous-jacente l'image du corail dans  l'immense diagramme qui accompagne l'ouvrage. C'est ainsi qu'un conflit non résolu s'ouvrit chez le grand savant entre le langage et l'image.

A l'instar du combat adaptatif des êtres vivants, il y a des vainqueurs et des vaincus dans le monde des idées, et le darwinisme reste aujourd'hui étroitement associé à l'image de l'arbre de vie. Ce n'est pas l'une des moindres vertus du livre de Bredekamp que de réactiver les possibles contenus dans la métaphore du corail en écrivant l'histoire  des sciences du point de vue des perdants.

De manière plus triviale, le corail ne pourrait-il pas aussi nous aider à  représenter autrement notre propre histoire  familiale et les frontières de la parenté  ? Imaginez en lieu et place de l'arbre généalogique figé dans sa verticalité hiérarchique entre le bas des ancêtres et le haut des descendants, un grand cercle ouvert de toutes parts, dans un foisonnement multidirectionnel de branches en recomposition. Il ne s'agirait plus alors de raisonner en termes d'enracinement mais d'origine commune.



annesiems_choralapples

Anne Siems. Choral Apples, 2007.







Horst Bredekamp, Les coraux de Darwin, Presses du Réel, 2008


Parmi les dix projets sélectionnés pour le concours du Darwin's Canopy au Natural History  Museum ,

c'est une œuvre en forme d'arbre, de Tania Kovats,  apparemment sans grand intérêt qui a été retenue.


voir aussi les événements liés au bicentenaire de la naissance de Darwin, Darwin200


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Commentaires
M
je ne pas sûr de comprendre la difference entre ces deux metaphores: le corail lui aussi a un point d'origine et des branches, n'est ce pas? <br /> Dans National Geographic il ya un bel article sur Wallace et les rapports toujours très respectueux qu'il a eu avec Charlie (http://ngm.nationalgeographic.com/2008/12/wallace/quammen-text/1). Quant à l'arbre de Sís, on dirait une copie d'une vieille illustration de l'Edda (http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Yggdrasil.jpg)
L
Passionnant et superbement illustré. Il y a quelque chose de plus tortueux dans le corail qui représente bien mieux les aléas/aventures de la vie.
U
That last image - filled with symbols - like a riddle ripe to be opened...<br /> Wonderful!
S
oui oui oui, je connaissais cette idée! j'en ai même tenu compte, mon petit projet avance à grands pas ces derniers temps, et j'ai effectivement tenu compte de cette représentation!
F
Je me sens un peu moins sotte d'un coup. Le pire, c'est que ma bibliothèque va s'agrandir ; je dis bien le pire parce qu'elle est déjà énorme.
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