Imprégné très tôt par le goût des tissus - sa mère possédait une riche collection d'étoffes anciennes nichées dans un immense cassone de la Renaissance - Mariano Fortuny s'est lancé dans la fabrication de soies, de cotons et de velours ornés avec une inventivité d'artiste mais aussi de technicien, prompt à élaborer un procédé d'impression resté secret jusqu'à présent. Il aura mis au point systèmes d'éclairage électrique, encres à gravure, papiers photographiques ; il aura rêvé, fasciné par Walt Disney, d'un dessin animé mettant en scène La Walkyrie.
En 1910, déjouant les extrêmes difficultés liées aux superpositions de couleurs, il fait breveter "un procédé d'impression polychrome sur tissus, papiers, etc. consistant essentiellement à effectuer une première impression dite de cloisonnage au moyen d'une planche gravée pour imprimer les contours déterminant ce cloisonnage et à effectuer successivement les autres impressions au moyen de planches gravées approximativement ou même de pochoirs, qui déposent la couleur à peu près entre les limites du cloisonnage, pourqu'on soit certain que, même avec un repérage imparfait, la couleur se trouve bien placée entre ces limites, ces couleurs s'étendant ensuite par capillarité en raison de la porosité du tissu".
Poudres, mordants, solvants, métaux dilués, pigments du Brésil, indigo des Indes, paille de Bretagne, cochenille du Mexique, blanc d'oeufs pourris venus de Chine, viennent colorer artichauts, grenades, fleurs de chardon, acanthes, sarments de vigne, palmettes, arabesques, cyprès, oiseaux, dragons, chrysanthèmes, pivoines, ananas, empruntés à l'Egypte antique, aux céramiques crétoises, au bestiaire byzantin, au gothique français, à la Renaissance toscane et vénitienne, au baroque romain, aux katagami japonais, aux botehs indiens, à la Perse safavide, aux stylisations péruviennes, aux calligraphies arabes.
"Teinturier alchimiste", disait de lui son ami D'Annunzio, plongeant les étoffes " dans les drogues mystérieuses de ses cuves remuées avec un pilon de bois,tantôt par un sylphe, tantôt par un gnome" et les retirant "teintées de rêves étranges, et avec leurs mille buis marqués de nouvelles générations d'astres, de plantes, de plantes, d'animaux" (cf Mariano Fortuny, un magicien de Venise, par Anne-Marie Deschodt et Doretta Davanzo Poli aux éditions du Regard)
Epreuves d'impression de la fabrique de tissus de Mariano Fortuny. Fondazione Musei Civici Veneziani.
(dans le catalogue en ligne, choisir l'option "ricerca strutturata", puis cocher le filtre "museo fortuny", enfin sélectionner "autore : Fortuny y Madrazo Mariano")