Singes
«Les mones de Campbell vivent dans les arbres de forêts denses où la
visibilité est très limitée. Ils ont donc développé tout un système de
cris qui m’intéresse. Leur communication se révèle sophistiquée. Elle
évoque même un possible protolangage que recherchent beaucoup de
linguistes travaillant sur l’origine du langage humain. Ces primates
ont en effet un lexique d’une trentaine de cris, et aussi une
sémantique, une syntaxe, une prosodie rudimentaires.
«Ils ont un cri qui signale l’approche de l’aigle : hok. Et un autre celle du léopard : krak. Deux prédateurs majeurs. Mais les mones savent aussi jouer d’au moins un suffixe : le «ou», globalisant. Hokou signale un danger venu du ciel. Krakou,
une menace venant du sol. Mieux, ils combinent leurs cris en séquences
pour produire un sens nouveau : le mâle rassemble ses femelles en
émettant une série de boums. S’il y ajoute une série de krakous, il avertit d’une chute d’arbre et s’il poursuit en lançant des hokous, il indique qu’il a repéré un groupe voisin.
«Autre fait surprenant : leurs échanges vocaux suivent des règles sociales, telle une forme primitive de conversation policée. Ces singes s’expriment les uns après les autres, ne se coupent pas la parole, et respectent celle des aînés : les cris d’un senior suscitent plus de réponses que celles d’un junior. Je m’apprête à publier un article montrant que ces animaux ont le sens de la prosodie : ils modulent le débit de leurs cris pour exprimer leur émotion.»
Alban Lemasson, maître de conférences en éthologie à l'université de Rennes,
à propos de ses recherches sur le langage des singes
Libération, 11 septembre 2010
Singes de terre cuite figés en pleine conversation sous la voûte du Natural History Museum de Londres