Quiétude après l'orage
La musique, à l'origine du parcours napolitain d'Ernest Pignon-Ernest ,
fasciné par une émission de radio consacrée à Gesualdo,
Pergolese, Cimarosa et Scarlatti, vient le clore avec le merveilleux
album (Napoli's Walls) que le clarinettiste Louis Sclavis
a dédié à ses images de rue. Colleur de nuit, Napoli's Walls,
Kennedy in Napoli, Divinazione moderna I, Divinazione Moderna II (un
superbe morceau fugué, où la clarinette se mêle à la voix éraillée de
Médéric Collignon), Guetteur d'inaperçu, les apparences, Porta
segreta, Il disegnio smangiato d'un uomo composent un "poème dramatique
en dix actes".
"J’ai abordé le travail d'Ernest Pignon-Ernest comme un livret d’opéra : une scène, un décor,
des personnages autour d’un drame. Le premier acte s’appelle " Colleur de nuit ". Le colleur,
c’est Ernest, qui a hanté les nuits de Naples pendant des années avec
ses affiches et son pinceau de colle. J’imaginais un homme qui, après
avoir collé toute la nuit, rentre chez lui en marchant, en sifflant de
mémoire une petite mélodie incertaine. Peu à peu, ce sifflement mal
assuré devient sa petite chanson de nuit, celle qu’on entend au début
du disque. Je l’ai composé en sifflant, ça vous donne un résultat à
part, qu’on ne peut pas obtenir avec un instrument. Et puis ça m’a
permis de me mettre dans la peau du personnage qui marche, qui siffle
une ritournelle, sans savoir si elle existe ou s’il est en train de
l’inventer. Le second titre part d’un autre dessin d’Ernest : un gamin
qui part en courant dans une rue. J’avais envie de le suivre, ce
gamin ! J’ai fait une musique qui part en courant, comme un gamin
espiègle qui vient de faire une farce. C’est un morceau très gai, très
simple. Le troisième acte s’appelle " Mercè ", et là, c’est plus lourd
de sens. J’y évoque la grâce religieuse : un hommage à Gesualdo, un
compositeur napolitain maître en polyphonies. J’ai fait une musique à
quatre voix, qui évoque la religiosité de Naples. Ça pourrait être
quatre chanteurs très fervents, avec des voix qui déraillent un peu.
Quatre napolitains en train d’invoquer la grâce dans un coin de rue.
Le reste du disque s’articule autour d’un même dessin d’Ernest. Il
représente un personnage qui sort d’un soupirail dessiné dans le bas
d’un mur. J’y ai vu les gisants de Pompéi, les hommes de lave. Vision
mortifère, fascinante. Et puis dans mon esprit, ces gisants se sont mis
à bouger. Là, j’ai vu Pompéi, le péplum ! Donc j’ai composé une espèce
de musique de péplum kitsch, une musique de série B, qui démarre par
une sonnerie de trompette, comme le buccin des légionnaires de Rome.
Ces gisants sortent et s’étalent comme une matière molle dans la ville,
comme si ce personnage d’Ernest était la lave du Vésuve qui coule dans
Naples. Cette image s’est traduite par le bruit d’un moteur sourd,
quelque chose qui vient du sol et qui avance, une rythmique pop, lourde
et inexorable. Je sens ce corps qui devient de la lave, qui descend dans la ville.
Après ça, le final du disque forme une quiétude d’après l’orage."
José de Ribera, Apollon et Marsyas
Certosa di San Martino, Naples