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A la page 169 de la première édition du volume III deVie et opinions de Tristram Shandy, gentleman publié il y a 250 ans, soit en 1761, est insérée une feuille de papier marbré : pour chacun des 4000 exemplaires, une page marbrée et colorée sur les deux faces chaque fois différente.
Le papier marbré n'est plus commencement ou fin, attaché à la reliure, il prend corps dans l'espace même du texte délimité par des marges, grâce à la prouesse technique de l'imprimeur condamné à rompre le processus mécanique de sa presse pour introduire l'unique au sein du reproductible ( ce à quoi ne le contraignaient pas les autres innovations de l'auteur - pages laissées blanches, pages noires, chapitres laissés vierges, suite d'astérisques, usage massif de tirets de différentes longueurs, simples ou répétés).
Cette page extraordinaire, Laurence Sterne dit au lecteur qu'elle est l'emblème de son oeuvre, toujours variable, ouverte au hasard, absolument originale, offrant à chacun un cheminement singulier. Loin du luxe du XVIIIe siècle, les éditions contemporaines annihilent cette idée force en reproduisant toujours la même page marbrée en noir et blanc ou en insérant une feuille sans marge.
Images issues du site du Laurence Sterne Trust