Le cuir des arbres
"Les arbres, a dit un sage un peu misanthrope, me consolent des hommes
mieux que les animaux, avec lesquels ils ont trop de ressemblance".
Comme la rose dont parle le Pèlerin chérubinique, ils sont "sans
pourquoi". Silencieuse, sans défense, leur beauté donne sans rien
demander en échange, et ils dispensent sans compter, outre leur ombre,
leur feuillage, leurs fleurs et leurs fruits, l'admirable élan qui les
enracine dans la terre en même temps qu'il les porte vers la lumière et
le ciel : un admirable exemple d'attitude d'âme. Le plus bel éloge des
arbres a été d'imaginer qu'ils aient servi de modèle aux architectes
des temples grecs et des cathédrales gothiques.
J'ai été tenté de faire des portraits photographiques d'arbres. Aucun
n'a répondu au sentiment qu'ils m'inspirent. Seule la poésie d'Ovide,
qui fait de certains arbres des métamorphoses sereines d'amants
tragiques, ou la peinture du Titien, de Claude, de Fragonard, qui fait
d'eux des métaphores ailées de nymphes ou de fées, est à la hauteur de
ce que je sais d'eux. Alors je me suis rabattu sur la vue rapprochée,
et j'ai découvert que la photographie pouvait du moins fixer ce que
l'on ne regarde le plus souvent qu'en passant et distraitement, le cuir
des arbres. Sur leur tronc, support de riche et vive matière, se révèle
aussi, partie pour le tout, le grand art généreux de la Nature, dans
son génie ignoré de buriniste et de peintre coloriste sur bois.
Les chênes, les oliviers exposent sur leur cuir repoussé des chefs
d'œuvre de la gravure. Les bouleaux, les eucalyptus, sur leur peau
lisse portent d'autres chefs-d'œuvre, de dessin et de coloris. On passe
trop vite devant eux. Par la brève anthologie que propose cette
exposition, je souhaite partager avec les promeneurs en forêt, les
visiteurs de jardins botaniques, les explorateurs de pays lointains,
les joies esthétiques que donne l'incroyable et infaillible génie
plastique de la Nature, graveur et peintre " abstraits " sur le cuir de
nos amis les arbres..."
Marc Fumaroli
Exposition Le cuir des arbres. Maison européenne de la photographie, Paris, jusqu'au 2 septembre .
Clin d'oeil à Miss déjà Cinq heures et à ses beaux yeux fertiles