L'oeil enveloppé
Sur le comptoir, à l'entrée de la toute jeune galerie Frédéric Moisan, vous trouverez parmi les ouvrages de Bernard Guillot, un opuscule intitulé L'œil enveloppé, édité par Filigranes dans le cadre de ses Saisons (# 15. Printemps 2004). Un pur enchantement (dont la grâce n'est pas rendue par mes photos du livre)
"Mon amie Bes Nielsen aime et connaît bien l'Inde,
et a une prédilection pour le tissage. Un jour, elle m'apporta
une tunique de coton blanc, brodée de blanc.
La tunique était infiniment légère, immatérielle.
Le temps en avait fait un spectre ; un spectre brodé finement
par des mains et des yeux inconcevables ici :
même sous la loupe grossissante, il était impossible de déceler
le travail et la réalité du fil. Cela ressemblait à un gaz étrange.
Un adolescent dans les plaines de l'Uttar Pradish,
là où coule le jeune Gange, l'avait porté, il y a plus de cent ans.
J'emmenai avec moi le vêtement dans le Massif central,
pour les photographier.
C'était au printemps. Arrivé sur le plateau, dans le verger,
je suspendis la tunique aux branches fleuries d'un cerisier,
puis celles d'un pommier, lui aussi en fleur.
La lumière était vive, étincelante, l'air toujours nouveau.
Les premiers verts, les premiers bleus m'accompagnaient
et à chaque prise de vue, je sentais un vent léger animer la tunique.
De là, je pense à l'adolescent, dont je n'ai jamais vu le visage."