pierres d'attente tournon

 

hauteurs discontinues

 

angle

 

 

Il faut le dire tout net, quand vous aurez lu ou même feuilleté ce livre, vous ne verrez plus jamais la ville, votre ville, du même regard : avec Patchworks parisiens, petites leçons d'urbanisme ordinaire, Michaël Darin, architecte et historien, vous apprend à considérer la rue la plus laide d'un oeil neuf, non plus en prêtant attention aux immeubles et édifices qui la constituent mais en focalisant l'attention sur les assemblages multiples qui font une ville ( le principe de ce regard peut se porter à toute autre ville que Paris).

Enumérons les principales catégories :

- Voisinages, ou  les relations des immeubles entre eux :  petits immeubles isolés, surélévations, hauteurs discontinues, silhouettes uniformes, pierres d'attentes (moellons dépassant des murs mitoyens en vue de s'accrocher à une future construction)

- contours, ou les relations des bâtiments aux voies sur lesquelles ils prennent place : délicates articulations entre le domaine privé et le domaine public, reculs, alignements, cours, jardins, ajouts triangulaires,  recoins délaissés.

- formes, où les relations d'un côté à l'autre d'une rue, avec des effets de vides et de pleins, des asymétries ou au contraire de parfaites et ennuyeuses gemellités.

- rencontres, où l'intersection des voies :  immeubles d'angles, places triangulaires, immeubles-îlots, hauteurs différentes de rues.

A travers quarante promenades parisiennes de chacune deux heures, Michaël Darin a glané toutes sortes de configurations, une collection de curiosités ordinaires ensuite photographiées pour illustrer son propos (il est d'ailleurs assez étonnant pour le parisien de constater à la vue des photos à quel point toutes ces formes banales sont reconnaissables - qu'est-ce qui fait qu'on reconnaît une rue, un lieu ? ). Un constat s'impose : ce qui l'emporte, ce sont les irrégularités, les disharmonies, les anomalies, les ratés.

Toutefois l'auteur ne s'en tient pas à un simple inventaire morphologique. Derrière chaque situation particulière, il met en évidence les logiques sociales et historiques à l'oeuvre dans ce qu'il appelle la fabrique quotidienne de la ville. Pour lui, les rues sont des oeuvres collectives complexes, façonnées par les interactions entre de multiples acteurs - édiles, architectes, ingénieurs, propriétaires d'immeubles, investisseurs privés et institutionnels - intervenant sous la contrainte des législations urbanistiques (alignement, mitoyenneté, coefficient d'occupation) et des pesanteurs de l'existant. Les rues, ces assemblages plus ou moins réussis d'édifices, sont les résultats de leurs accords, de leurs compromis et de leurs brouilles, toujours appelés à se modifier.

Mario Salvadori a écrit un livre qui a fait date intitulé Comment ça tient ? qui répondait à la question simple de comment les édifices construits par les humains pouvaient tenir debout d'un point de vue technique. Ici, la question pourrait être reposée à l'échelle de la ville et de la société tout entière : comment ça tient ? comment une myriade d'individus aux intérêts, aux moyens, aux idées différents, voire divergents, arrive à former quelque chose de solide, une ville ?

En ressort un réjouissant mélange d'incapacité à tout contrôler et de cohésion qui fait le charme des villes et du vivre ensemble.

 

 

 

 

 

 

Patchworks parisiens, Petites leçons d'urbanisme ordinaire, de Michaël Darin, photos de Gilles Targat. Parigramme, 2012.