Eloge de la fadeur
"L'idéal confucéen repose sur la perception du caractère fondamentalement neutre de toute nature - celle du monde comme celle de l'homme. On ne peut trouver d'autre ancrage à la réalité que dans cette valeur du neutre : de ce qui ne penche pas plus dans un sens que dans un autre, de ce qui ne se caractèrise pas plus d'une façon que d'une autre, mais garde complète sa capacité d'essor. [...] Du côté de ce qui est ponctuel et se montre : la "saveur" ; de l'autre, ce dont la propriété demeure diffuse et enfouie, mais est d'autant plus opérante : la "fadeur".
La vertu du sage ne se laisse donc pas voir.[...]
"Selon le Livre des odes : 'Sur son vêtement de brocart, elle rajoute une robe simple [d'une seule couleur]'. C'est qu'elle ne veut pas laisser paraître un vêtement si orné. Ainsi, parce qu'il se plaît à rester dans l'ombre, le Tao (la "voie") de l'homme de bien devient de jour en jour plus illustre ; tandis que, parce qu'il aime à briller, le Tao de l'homme de peu de jour en jour s'étiole. Le Tao de l'homme de bien est fade et ne lasse pas ; il est simple et néanmoins orné ; plat mais non sans harmonie. Celui qui connaît la proximité de ce qui apparaît à distance, celui qui se rend compte d'où vient le vent (comme influence se répandant à travers les existences), celui enfin qui est conscient du devenir manifeste de ce qu'il y a de plus subtil, celui-là peut accéder à la vertu. " Zhongyong, §33."
François Julllien. Éloge de la fadeur. Picquier, 1991.
Une gouache d'Iris Schwarz