Pavillon Julienne #2
Je me suis donc rendue au 20 rue Lebrun, petit immeuble de deux étages en pierre de Paris sans aucune qualité particulière. La porte vitrée laissait entrevoir un jardin entouré d'autres immeubles de différentes hauteurs. J'ai appuyé sur le bouton d'un interphone isolé, sans nom, et il m'a été répondu immédiatement par un aimable petit bip de bienvenue. Je suis entrée. A gauche de la cour, j'ai découvert un chantier. En lieu et place du pavillon de chasse, une folie à mascaron, une rotonde avec deux ailes. Le petit panneau d'information en forme de rame installé par les services culturels de la ville de Paris m'apprendra que ce qui est hâtivement intitulé la "folie du treizième " est "l'unique survivante dans le 13e arrondissement des demeures de plaisance du XVIIIe siècle. Construite en 1727 et vendue en 1767."
Sans doute une folie construite par Jean de Julienne, directeur de la manufacture des Gobelins, ami et protecteur de Watteau et grand collectionneur.
A demie bredouille mais tout de même comblée par cette surprise, je repars vers la manufacture des Gobelins et longe la rue du même nom. Le n°3 semble ancien, un vieux monsieur ouvre la porte je m'engage derrière lui dans une belle cour à l'atmosphère pragoise. A l'escalier C, une impressionnante volée de marches. De la fenêtre du deuxième étage, rien qui ressemble au pavillon de chasse, juste un aperçu de l'orangerie du même Jean de Julienne. Huysmans l'a ainsi décrite dans un court texte intitulé La Bièvre, de 1914.
"Ici, la scène change ; le décor d’une misère abjecte s’effondre, et un coin de vieille ville, solennelle et sombre, surgit à deux pas des avenues modernes. La rue arbore d’anciens hôtels, convertis en fabriques, mais dont le seigneurial aspect persiste. Au numéro 3, une porte cochère, énorme et trapue, aux vantaux martelés de clous, donne accès dans une vaste cour où de hautes fenêtres évoquent les fastueux salons du temps jadis. C’est l’hôtel du marquis de Mascarini, maintenant encombré par des camions ; des marchands de chaussures, des teinturiers, des apprêteurs, ont mué les boudoirs en bureaux de commande et de caisse ; l’absorption du noble passé par la roturière richesse du temps présent est accomplie. Les millionnaires de la halle aux cuirs occupent en maîtres ces hôtels entourés de jardins verts et galonnés d’un ruban noir par la Bièvre. Plus loin, sur le boulevard d’Italie, par-dessus un petit mur, l’on peut plonger dans ces promenades semées de boulingrins et de corbeilles, entourées de buis, taillées dans le goût vieillot des parcs auliques."
Plus loin, au n°19, je me consolerai avec cette cour, ces fenêtres à meneaux et un escalier à vis monté autour d'un fût de chêne.
Rentrée chez moi, j'apprendrai après de patientes recherches que le pavillon de Julienne a été "démonté dans les années 1960 pour une extension de la Manufacture des Gobelins" et que "ses pierres seraient encore par terre le long du Mobilier National". Une carte postale du début du XXe siècle indique qu'il se situait 3 bis ruelle des Gobelins, aujourd'hui partiellement remplacée par la rue berbier du mets.
Qu'il puisse figurer encore dans l'inventaire des monuments historiques, à une adresse erronée, est un grand mystère. La base Mérimée recenserait-elle d'autres monuments fantômes, glissés dans les interstices de l'espace-temps ? A dire vrai, cette idée n'est pas sans charme.