Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Divan Fumoir Bohémien
Le Divan Fumoir Bohémien
Publicité
Archives
Le Divan Fumoir Bohémien
Newsletter
2 février 2010

Société des ambianceurs et personnes élégantes



baudouin_mouanda_rose

BM_croco






Au musée Dapper, en ouverture de l'exposition consacrée à l'ornementation du corps masculin en Afrique et en Océanie,  l'Art d'être un homme, une grande salle plongée dans l'obscurité est parcourue d'explosions de couleurs et de matières : costumes flamboyants , chemises ajustées, cravates et chaussettes aux harmonies savantes, Weston ou Berlutti amoureusement glacées des sapeurs de Brazzaville, de Kinshasa ou de la région parisienne,  photographiés par le jeune congolais Baudouin Mouanda et  l'espagnol Hector Mediavilla. Sapeurs pour SAPE," société des ambianceurs et personnes élégantes". Ce mouvement vestimentaire vouée au culte de l'élégance  lancé dans les capitales  congolaises  dans le milieu de la musique perdure depuis plus de trente ans, alimenté par la diaspora congolaise en France et en Belgique .

Il est né de la réappropriation du costume occidental, qui  a suscité la fascination au retour des anciens combattants africains dans leurs pays puis des premiers étudiants congolais, imprégnés de l'esprit de Saint-Germain-des-Près et de  l'élégance parisienne des années cinquante. Il s'est nourri aussi d'une dimension politique, à une époque où la dictature de Mobutu prônait le port de l'abacos ("à bas le costume" européen), un veston léger anti-colonial.

Baudouin Mouanda met en valeur la gestuelle que suppose l'exhibition des marques, fort chères, accumulées par les sapeurs, souvent jeunes et pauvres, qui peuvent engloutir toutes leurs économies dans l'acquisition d'une tenue digne de leurs exigences.  Déhanchement, talons gracieusement lancés en avant, canne à la main, cigare en bouche non allumé, c'est la danse des griffes avec ses  mouvements obligés : tenir le revers de sa veste du bout des doigts pour l' ouvrir largement et faire apparaître l'étiquette de la marque puis tirer légèrement le pantalon à partir du genou pour mieux faire reconnaître la provenance de ses chaussures et admirer le choix des chaussettes.

Une guerre sans merci se joue. Entre le Congo-B et le Congo-K, bien sûr. Les élégants de Brazza accusent leurs rivaux de Kin d'extravagance  : "Ils n’hésitent pas à porter de la fourrure en pleine chaleur ou à porter un costume à 5000 euros alors que le Congolais de Brazza est plus classique" explique un ambianceur. Mais la compétition est aussi féroce, si ce n'est plus, à l'intérieur de chacune des villes. Des DVD d'"allures" - avec entre autres la savoureuse pose "téléphonique" - se vendent comme des petits pains pour permettre aux artistes de sape de s'informer des derniers diktats des playboys qui mènent le jeu. Des élections ont lieu où l'on peut voir pendant le rituel salut, tête contre tête, des flammes dans les yeux des concurrents. Le temple ou l'église, les enterrements  même, figurent parmi les grands lieux de parade.

Le sapeur se doit de se tenir à l'affut des moindres changements de codes. Le rêve de chacun est le voyage à Paris mais pour ceux qui ne peuvent s'offrir le luxe, la contemplation des journaux télévisés européens est une source recherchée.  Notre grand Mamamouchi, bien que considéré comme un peu guindé, est ainsi devenu une icône et a  donné son nom à une coupe : "le  costume à fente Balladur".

Une cravate mal nouée, une couleur qui jure,  et votre réputation est ruinée : vous passez pour un "taureau", un "ngaya", un plouc, littéralement.



HM__glise

HM_escalier


Hector Mediavilla a, pour sa part, choisi d'accentuer le contraste entre le luxe des tenues  des sapeurs et l'environnement dans lequel ils évoluent, dans des pays parmi les pauvres pauvres du monde, meurtris par les guerres civiles. Il laisse deviner toutes les ruses qu'impose cette joute vestimentaire: des plus grossières, telle l'apposition d'une griffe sur un vêtement de seconde main,  aux moins visibles comme l'emprunt de diverses pièces aux quatre coins de la ville pour composer une tenue parfaite.

Considérée par certains comme un art de vivre à même de transcender la misère ou comme une guerre symbolique  de bon aloi, la SAPE est aussi très critiquée à l'intérieur des deux Congos. Nul doute qu'elle sait  donner aux Occidentaux une image rassurante de l'Afrique sous forme d'éloge du métissage culturel. Les photos d'Hector Mediavilla ont été publiées dans la revue Colors, financée par le groupe Benetton. Paul Smith s'est inspiré du livre de photos de Daniele Tamagni, Gentlemen of Bacongo (qu'il a préfacé) pour sa collection femme printemps été 2010.





HM_cirage

HM_rose





Les deux premières photos sont de Baudouin Mouanda, les autres d'Hector Mediavilla

L'univers de la SAPE,  musée Dapper, jusqu'au 15 juillet 2010.


-------------------------------

J’observe les gens depuis le Jip’s. Comme tout Congolais qui se respecte, j’ai gardé le goût de la SAPE (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) et des femmes laides. J’étais jadis amoureux des cols italiens à trois ou quatre boutons, j’aimais les sentir autour de mon cou, droits, doublés, infroissables. Dis-moi comment tu noues ta cravate, je te dirai qui tu es — voire qui tu hantes. Devant le Jip’s donc, je m’amuse à voir comment les passants portent leur cravate. Les timides ont des nœuds bien serrés, et dans notre milieu de la SAPE, nous les appelions les suicidés. Les brutes — que nous appelions les macros — ressemblent à des pendus avec leur nœud près de la gorge, tandis que les prétentieux gonflent exagérément le leur. Ils méritent le nom de couvercles de marmite. Pour eux, le meilleur est toujours à l’extérieur et non à l’intérieur. Ceux que nous qualifions de taureaux sans allure sont désordonnés, ont des nœuds en dos d’âne, ne s’en rendent même pas compte jusqu’au jour où, désespérée, leur amoureuse hausse le ton. Les austères et les  méticuleux — ou petits prêtres dans notre langage — se soucient sans cesse que leur cravate ne bouge pas. Ils peuvent passer une journée sans rajuster leur nœud. Les bavards — ou moineaux — ont un nœud desserré. Les cocus — ou bien cuits — ont le leur de côté, parfois à l’envers. Les  égoïstes romantiques, les pingres, les ingrats, autrement dit les fourmis rouges, ne changent pas de nœud jusqu’à l’usure de la cravate. Ils n’ont jamais appris comment la nouer, ils font confiance aux vendeurs et ne délient jamais le nœud que ceux-ci ont réalisé dans le magasin, devant la caisse.

Alain Mabanckou. Propos coupés-décalés d'un Nègre presque ordinaire.









Publicité
Publicité
Commentaires
H
je l'avais dit que ce serait ma prochaine expo !!!<br /> J'en reviens et c'est un tres beau musée peu connu .merci
L
Merci mille fois pour toute cette riche documentation, c'est passionnant! Enfin, j'y vois plus clair dans cette histoire de sape! Qui me donne des envies de dessiner... des sapeurs, bien sûr! Je me souviens qu'en Afrique de l'Ouest, où j'ai vécu, la sape existait aussi.
C
comme on dit à Abidjan... Ceux là même, ils font faro. Ils font trop leur boucan...
M
Au dehors les années<br /> Regardaient la vitrine<br /> Les mannequins victimes<br /> Et passaient enchaînées<br /> (G Apollinaire)
C
grazie pour ce post qui m'enchante, comme le reste de votre blog.Connaissez vous les musiciens des rues de Kinshassa?.Il y a le mot Billili ou quelque chose comme ça dans le nom de leur groupe.Dès que j'aurai retrouvé leur nom ,je vous l'enverrai.
Publicité