Un mystérieux portrait du peintre baroque lucquois Pietro Paolini passé récemment en vente chez Sotheby's. Le catalogue réfute l'hypothèse d'une allégorie de l'architecture : le visage de la femme, avec ses traits si spécifiques, ne serait pas assez neutre pour incarner une idée. Mais qui serait la jeune femme ainsi représentée ? Aurait-elle un lien avec la mère et la fille du magnifique double portrait ayant appartenu au cardinal Fesch ?
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"Mais cet après-midi-là, celui qui me sembla le plus beau de tous, c'est un tableau de Pietro Paolini, qui vécut et travailla à Lucques au dix-septième siècle. Sur un fond d'un noir intense, sauf sur le côté gauche où il passe à un brun très foncé, on voit une femme de peut-être trente ans. Elle a de grands yeux mélancoliques et porte une robe couleur de nuit, qui ne se détache pas, même par illusion, de l'obscurité qui l'entoure et qui est donc en fait invisible, mais que chaque pli, chaque drapé de l'étoffe rend présente. Elle porte un collier de perles autour du cou. Son bras entoure d'un geste protecteur sa petite fille, qui se tient devant elle, sur le côté, tournée vers le bord du tableau, mais présente au spectateur, dans une sorte de défi muet, un visage sérieux sur lequel on dirait que les larmes viennent de sécher. La petite fille porte une robe rouge brique, rouge est aussi la poupée d'à peine trois pouces, vêtue d'un uniforme de soldat, qu'elle nous tend, soit en mémoire de son père parti à la guerre, soit pour se défendre contre notre regard malveillant. Je suis resté longtemps devant ce double portrait, et j'y ai vu, comme je l'ai cru alors, tout l'insondable malheur de la vie."
WG. Sebald. Campo Santo.
tr.fr. P. Charbonneau, Actes Sud.
Merci infiniment à Clothogancho pour cet extrait.