Blitz
Quiconque marche quelque temps dans l'Est de Londres peut ressentir dans les discontinuités et les trous du tissu urbain les traces des bombardements allemands. En cherchant une carte des dégâts causés par le Blitz, j'imaginais trouver de vastes zones blanches comme autant de morceaux arrachés à la ville, "rayés de la carte", comme on dit. En découvrant les Bomb damage maps éditées par le London County Council juste après la guerre, j'ai été naïvement étonnée de constater que les destructions étaient représentées non par impact mais maison par maison, par un dégradé subtil de couleurs, allant du noir pour la destruction totale au vert clair pour les démolitions légères, selon un procédé en tous points semblable aux fameuses cartes de la pauvreté établies par Charles Booth, un demi-siècle plus tôt.
Ces cartes figurent non pas le vide, le néant, malgré le paysage de désolation de la ville, mais des creux à remplir : non la destruction mais la reconstruction en marche. Quelle nation prendrait le risque de se représenter détruite ? La destruction, ce sont ceux qui l'infligent qui la représentent.
Détail de la carte des destructions à Whitechapel
photo de William Vandivert pour Life, septembre 1940