Les effets du marin
Tenue de sortie d'un marin du Second empire. Conservatoire du commissariat de la marine, Toulon.
L'exposition que le musée de la marine consacre à l'influence du vestiaire marin sur la mode, Les marins font la mode, avant tout illustrative, laisse sur sa faim. Certes, tous les éléments du déplacement massif de la garde-robe militaire à la garde-robe civile sont là : le costume marin enfantin, le costume de bain, l'usage du jersey, l'essor des thèmes marins dans la mode. Mais ils restent juxtaposés en l'absence d'explications historiques que deux pages du livre de Michel Pastoureau sur l'histoire des rayures, L'étoffe du diable, suffisent à exposer. On sent que les organisateurs ne se remettent pas tout à fait d'avoir évoqué furtivement l'icône homosexuelle qu'est devenu le matelot et que l'idée de faire entrer des robes de couturiers (largement inspirée du Sailor Chic du National Maritime Museum de Greenwich) constitue à leurs yeux un exploit à part entière. Ils n'ont, semble-t-il, pas osé développer la partie consacrée aux uniformes eux-mêmes de peur d'apparaître trop rigidement attachés aux militaria. Pourtant, l'apparition du tricot rayé et les raisons de son émergence ou la fixation des caractères communs aux uniformes des diverses marines nationales semblent constituer un préalable indispensable. On aurait également aimé en savoir plus sur la progressive codification des tenues, leur uniformisation précisément (sous l'Ancien régime, les hommes de bord apportaient leurs hardes et n'étaient tenus qu'à la propreté de leurs effets personnels). Enfin, très peu de modèles sont présentés alors que les uniformes historiques et leurs superbes détails de couture - les nouettes des vareuses des tenues de matelot du Second empire ou le col des redingotes de capitaine de frégate du début du XXe siècle entre autres - sont totalement méconnus et auraient de quoi passionner tous les amateurs et les professionnels de la mode dans un effet de retour aux sources.
Ce qui m' a aimantée dans cette exposition, de manière périphérique à son thème, c'est la vitrine consacrée au contenu d'un sac de marin. Au début, on ne saisit même pas de quoi il s'agit : des carrés numérotés étalés comme des cartes sur une table de jeu. Il faut lire la légende pour comprendre qu'il s'agit des différentes composantes réglementaires, dûment matriculées et marquées par des rubans nominatifs, de la tenue d'un marin. Les effets sont pliés en carré de 25 sur 25, écrasés sous le poids du fer à repasser pour prendre le moins de place possible dans un milieu de vie, le bateau, caractérisé par la pénurie d'espace.
Plan de rangement et composition des effets réglementaires issus du
Manuel des recrues des équipages de la flotte pour 1929.
Là, on saisit concrètement qu'il était presque impossible de glisser dans ce sac des possessions personnelles et que l'homme d'équipage, vivant toute la journée avec un uniforme sur le dos et partageant avec d'autres son lieu de couchage, ne disposait quasiment d'aucun espace privé, ne serait-ce qu'à l'intérieur d'une poche de toile écrue.
Dans ces conditions, la peau ne constituait-elle pas le dernier espace personnel de l'homme embarqué, l'ultime frontière entre lui et les autres ? Le tatouage, si répandu chez les marins, était sans doute la meilleure façon de rapporter des souvenirs des terres lointaines et de marquer son territoire intime.
Étrange jeu de dépouillement où l'identité du marin s'exprime finalement davantage dans la nudité que dans l'habit.
Photo anonyme de marin tatoué d'un tricot, coll. Jérôme Pierrat.
Au musée de la marine, jusqu'au 26 juillet.