Sang jaune, sang bleu, sang ocre
"Tout étant singulier et inattendu chez l'homme de génie qui nous occupe, on remarque aussitôt qui si Vermeer nous fait songer au sang, il n'emploie cependant que rarement les couleurs rouges. Mais le sang est évoqué ici non par sa nuance mais par sa substance. Cela sera, si l'on veut, puisqu'il s'agit d'un nécromant, un sang jaune, un sang bleu, un sang ocre. Cette pesanteur, cette épaisseur, cette lenteur de la matière, dans les tableaux de Vermeer, cette dramatique compacité, cette cruelle profondeur du ton (même quand ce ton est un blanc, un gris, un blond) nous procure souvent une impression qui ressemble à celle que l'on éprouve en voyant la surface lustrée et comme couverte de vernis gras d'une blessure, ou encore en voyant, sur le carreau d'une cuisine, la tache qu'y fait le sang qui tombe et s'étale sous quelque gibier suspendu. Il va sans dire que cette comparaison qui devient désagréable et désobligeante (nous nous en excusons) lorsqu'on l'exprime et la précise par des mots comme nous sommes obligés de le faire ici est d'une tout autre nature lorsqu'on l'éprouve sans la discerner, comme c'est le cas bien longtemps pour ceux qui regardent ces attirants tableaux. "
Jean-Louis Vaudoyer "Le Mystérieux Vermeer", in L'Opinion, 14 mai 1921.
Songerie évoquée par Daniel Arasse dans L'ambition de Vermeer. Adam Biro, 1993.
Ces détails proviennent du remarquable site de Jonathan Janson : Essential Vermeer