Au XVIIe siècle, mais surtout au XVIIIe siècle, à Naples, l'aristocratie et la bourgeoisie furent saisies d'une véritable manie des crèches. Elles rivalisèrent dans les décorations, qui devaient chaque année être plus belles, plus riches et plus enviées jusqu'à faire de la Nativité une scène à peine distincte de scènes tout aussi canoniques que l'Auberge, le Marché, l'Annonciation, le Berger endormi, la Fanfare à la turque, le Cortège des rois mages. La religion était presque un prétexte à un fourmillement de scènes simultanées, tout en récit et bavardage, mi-sacré, mi-profane, entre rite et fête, où l'on discernait avec peine Jésus parmi une profusion de chèvres, de moutons, de poulets, de petits oiseaux, de chameaux, de jambons, de paniers de fruits et légumes, sans compter des centaines et des centaines de personnages dans une densité approchant celle de la ville elle-même.
Aucune
ne nous est parvenue intacte mais certaines étaient si grandes
qu'elles envahissaient des maisons entières. Les sculpteurs
étaient les premiers à être mis à contribution pour les figures, très
expressives, parfois caricaturales, des différents personnages, dont le
corps était fait d'étoupe et de fil de fer, puis habillé, parfois de vêtements brodés de
pierres précieuses. Mais c'étaient de véritables régisseurs qui étaient
engagés par de riches familles pour chaque année créer de nouvelles
scénographies. Les variations dans la composition étaient continuelles,
les assemblages sujets à des transformations incessantes : on montait
et démontait sans jamais recomposer un ensemble antérieur. Les
attitudes des personnages, leurs accessoires mêmes étaient
modifiés. Le scénario s'inspirait en toute liberté de textes
sacrés. Archéologie (notamment la découverte de Pompéi), ethnographie
(recherches sur les costumes régionaux) et théâtre, cultivé comme
populaire, spectacle religieux et spectacle de rue convergeaient vers
ce qui était désormais un " hobby".
Dilettantisme et
collectionnisme sont les deux racines passionnelles dans lesquelles la
crèche puise les raisons de son succès et de sa popularité. C'était
devenu un divertissement grâce auquel montrer sa culture, son esprit,
son goût du déguisement et accessoirement sa piété. Le roi
Charles lui-même s'amusait pendant certaines heures du soir et de la
journée, à pétrir de ses royales mains des briques pour façonner
cabanes et fonds rocheux afin d'y disposer des pastori, tandis que la reine Amalia s'affairait à leur coudre des petits habits.
Rêvons de voir une crèche immense à la lumière des chandelles où nous nous amuserions à chercher Jésus.