1 petit porte-feuille, 2 mitaines de coton, 1 clé
"Anne Julienne 20 ans
Fille orpheline
ouvrière d'un tailleur
rue de la Coutellerie
Casaquin rouge
vieux jupon, 2 autres jupons
tablier de toile
bas de coton
poches de toile
2 mouchoirs
1 petit porte-feuille de cuir rouge
almanach - papiers - mémoires
bonnet piqué
2 paires de mitaine de coton 1 clé
1 étui de bois avec un coeur
bague de pierre fausses vertes "
C'est ainsi que sont décrites les
possessions de l'une des victimes mortes écrasées dans la foule qui
s'était rassemblée le 30 mai 1770 pour le mariage du Dauphin (le
futur Louis XVI) dans le Tableau général de toutes les opérations faites à l'occasion du malheur arrivé à la sortie de la place Louis XV, magnifique archive découverte par Arlette Farge dont on peut lire des extraits dans Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle (Julliard,
collection Archives, 1979) :' l'homme de la rue dans ses poches porte à
la fois les signes de son travail et les signes de ce qui peut le
projeter dans un ailleurs. Tabatières, almanachs, dés, cartes à
jouer, chapelets, coeurs, livres de piété". L'inventaire fascine
et émeut tant il semble nous mettre au plus près de la vie de ces gens
de peu et le regard passe peut-être un peu trop rapidement sur un
élément qui devrait pourtant nous intriguer : "poches de toile".
Aucun policier aujourd'hui ne prendrait la peine d'en signaler la
présence tant elles nous paraissent intrinsèques aux vêtements.
C'est qu'il faut avoir à l'esprit que les poches des femmes, du XVIIe
siècle jusqu'à la moitié du XIXe siècle, n'étaient pas cousues à leurs
habits mais constituaient une pièce autonome et amovible, attachée par
un ruban à l'intérieur ou à l'extérieur des jupes et des robes.
C'est cet objet invisible, caché, que l'exposition du Musée du
costume de Bath, "Pockets of history" se
propose de mettre au centre d'une passionnante enquête historique,
grâce à l'aide de trois chercheurs de la Winchester School of Art,
relayés par une exposition en ligne du Victoria & Albert Museum.
Au-delà
des questions morphologiques (il en existait une grande variété, de la
plus grossière toile aux broderies les plus raffinées), ils
s'interrogent sur le statut des poches : que disent-elles du changement
social et de l'industrialisation? En quoi peuvent-elles faire
comprendre comment les femmes se pensaient elles-mêmes ? Ils insistent
sur un point d'une extrême importance : à une époque où la majorité des
gens vivaient dans une très grande promiscuité, partageant lit et
mobilier, et où les femmes n'avaient aucun droit à la propriété privée,
une poche était parfois le seul espace véritablement privé où l'on
pouvait mettre en sécurité ses petites possessions. Voilà comment un
seul objet matériel condense une myriade de faits sociaux
disparus.
Terminons par la délicieuse description des fonds de poche d'un vieille dame par le poète James Henry Leigh Hunt datant de 1812 : "Dans l'une se trouvent son mouchoir et toutes ces choses de grande importance sans lesquelles elle ne saurait sortir, telles la monnaie de six pence. Dans l'autre, un assortiment mixte, consistant en un livre de poche, un trousseau de clefs, une boîte à aiguilles, un étui à lunettes, des miettes de biscuit, une noix de muscade et une râpe, une boîte à sels, et, suivant les saisons, une pomme ou une orange, qu'elle peut extirper après plusieurs jours, toute chaude et brillante, pour la donner à un petit enfant qui s'est bien comporté".